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La Libération de Paris
Témoignage
Récit d'un brigadier de police sur La Libération de Paris
Paris brûle-t-il ?
Mémoires d'un Brigadier
Au Moulin Rouge, j'ai vu deux fois ce très beau film. Certains passages méritent des explications.
Etant Brigadier des Gardiens de la Paix depuis onze ans, j'ai comme tous les policiers en tenue, pris part à ces huit journées extraordinaires du 17 août au 24 août 1944.
Le 16 août, tous les services en tenue ont effectué normalement leurs heures de service, selon la marche des Brigades, assurant un service continu entre elles pendant 24 heures.
17 août : A huit heures nous apprenons que les allemands ont attaqués trois postes de police et que tout le personnel présent a été fait prisonnier. Ces postes (Neuilly, Levallois et St Ouen) étaient sous l'autorité de notre Préfecture de Police. Les motifs de cette attaque sont restés inconnus.
L'attaque de ces postes avait créés un certain malaise dans nos esprits. Depuis le 13 juin 1940, date de leur entrée dans Paris, nous avions toujours vécu près d'eux, sans souffrir de leur présence, puisqu'ils nous ont toujours considéré comme le tampon entre-eux et la population parisienne.
Il est utile de préciser que le 12 juin 1940, à l'annonce de nos chefs que la banlieue parisienne était cernée par les troupes allemandes et que leur entrée était prévue dans Paris à cinq heures du matin le lendemain. Nous nous demandions comment les choses allaient se passer avec eux dans les jours à venir : quelle attitude il conviendrait de prendre à leur égard et comment nous allions accomplir notre service.
Ils se méfiaient de nous, mais, cahin-caha, les années de guerre se sont écoulées sans trop de dommage pour nous. Certes, ils étaient les maîtres et ne manquaient pas de le faire sentir, mais, comme on dit vulgairement : ça allait. Il nous est même, souvent, arrivé d'effectuer des services de collaboration avec leurs gendarmes avec par exemple la circulation Place de l'Opéra, la répression des lumières dans la nuit ou faire entrer le public dans les abris pendant les alertes. Reconnaissons ici qu'ils avaient une police autoritaire, qui ne concordait nullement avec la police bon enfant, qui a presque toujours été pratiquée par la police en tenue de la Région Parisienne.
Il faut préciser que le public les craignait (et pour cause). Un seul exemple le démontrera. L'alerte venait d'être donnée. Une dizaine d'agents se rendait Place de l'Opéra et remontait les boulevards jusqu'à la Porte St-Denis, pour faire entrer le public dans les abris. Nous étions à peine passés de cinquante mètres que la plupart était à nouveau sur les trottoirs, alors que deux gendarmes allemands (un sur chaque trottoirs) et sur un même itinéraire, étaient mieux respectés que nous. Quelques cris, quelques coups de sifflet et, on ne voyait plus personne.
A la libération, la Police municipale comptait 14.500 hommes répartis dans vingt arrondissements et quatre-vingt quartiers, puisque chaque arrondissement groupe quatre quartiers et une poste de police par quartier. Quelques arrondissements du centre n'avaient que trois postes, mais par contre la plupart des arrondissements périphériques (en raison de leur population élevée) avaient cinq et parfois six postes. Les 14.500 hommes assuraient par relève un service continu de vingt-quatre heures.
Chaque arrondissement avait un effectif d'environ six cents hommes en tenue, et recevait des renforts selon les manifestations qui se produisaient chez lui, tel le 8ème avec l'Elysée, le Grand Palais et l'Arc de Triomphe où ces renforts venaient constamment.
A cela il fallait ajouter les Compagnies de Réserve et les Compagnies de Circulation prenant leur service à la Préfecture du Boulevard du Palais, dont l'effectif était d'environ deux milles. Et encore le Service technique qui groupait le garage, les barrières, les signaux etc. … avec un effectif d'environ cinq cents hommes.
A côté de nous, dépendant comme nous de la Préfecture de police, nous avions la Police judiciaire avec un effectif de quatre cents hommes. En 1942 il fut créé des brigades spécialisées dans la répression du terrorisme, mais qui se spécialisaient dans l'arrestation des membres de la Résistance. Les Brigades avaient pour indicatif BS1, BS2 ect… Leur chef, le Commissaire Rotée fut d'ailleurs condamné à mort et fusillé.
Dès le 17 août, un désarroi total s'était emparé de ces hommes et, environ la moitié fut arrêté, le reste s'était caché. Le 25 août, environ la moitié qui été réfugié à leurs domiciles furent arrêtés. Inutile de dire que pas un d'entre eux n'a montré le nez lorsque la grève fut commencée.
Nous avions à côté de nous pour nous épauler, s'ils l'avaient voulu :
· La garde Républicaine dans ses quatre casernes (Lobau, Champerret, Henri IV et la banque) ;
· Les pompiers et leur dizaine de casernes ;
· La Gendarmerie dans ses deux casernes (Minimes et Exelmans) avec un effectif de deux cents hommes
Nous n'avions pas besoin de leurs effectifs, mais le pressant besoin que nous avions, c'était de permettre d'enfermer dans leurs locaux disciplinaires, des prisonniers allemands qui s'entassaient dans les violons des postes de police et, de qui nous avions raison de craindre le pire en cas de retour en force des armées allemandes.
A la caserne, rue de la Banque, qui était contigüe au Central du 2ème où je suis resté constamment pendant ces tristes journées, nous sommes allés à différentes reprises demander leurs locaux disciplinaires, pour obtenir à chaque fois un refus catégorique disant "nous n'avons pas d'ordres !".
Même chose à la Caserne des Pompiers de le Rue du Jour, toujours le refus de prêter leurs locaux. N'allez pas croire qu'il y eut des luttes à la baïonnette ou à la mitraillette pour capturer ces soldats allemands. Un grand nombre avaient mis beaucoup de complaisance à se laisser arrêter. Il suffisait de s'embusquer dans une porte cochère et de jeter devant eux une ou deux grenades (la plupart lacrymogène) pour qu'aussitôt, à pied ou en auto, ils lèvent les bras en criant "camarade".
On peut évaluer à un tiers le nombre qui nous amené par des résistants non policiers, appartenant aux Forces Françaises de l'Intérieur (FFI). Ces prisonniers nous donnaient beaucoup de soucis et aussi du travail, car il fallait pourvoir à leur alimentation. Sur le 2ème arrondissement il y avait deux boulangeries ouvertes, ce qui était peu.
Le 19 août, il y eu du mieux. La Résistance de la Préfecture de Police s'était emparée des restaurants du 2ème qui recevaient uniquement des allemands :
· Rue la Bourse ;
· Rue Montmartre (angle rue d'Uzès) et surtout
· Une pâtisserie 15 rue d'Uzès qui consommait depuis des années un camion d'œufs par jour pour faire de la pâtisserie pour l'armée allemande.
Comme il n'était pas question de les employer sous bonne escorte pour ces corvées, il fallait le faire nous-mêmes. Certains avaient demandé de leur prêter des vêtements civils pour effectuer les corvées au dehors, mais par méfiance, nous ne leur avions donné satisfaction. Le matin, violon par violon, il fallait les garder dans le poste pendant la toilette et nettoyaient leur local.
L'effectif augmentait chaque jour. Le 26 août, l'armée américaine en a pris possession.
Au sujet de la rue d'Uzès, cité plus haut, il y eut un fait qui a sa place ici. Pendant toute la guerre, de jour comme de nuit, un agent était placé sur le trottoir, devant la pâtisserie de cette rue peu passante. Au début de 1943, l'agent Rousseau y assurait le service de 18 h à 24 h. Vers 20 h on mangeait un léger casse-croute apporté de chez lui, il lia conversation, avec la concierge d'un immeuble d'à côté, sur la question du pain. Rousseau lui dit " ma carte de pain ne suffit pas, mais j'achète de temps à autre une carte au Marché noir, pour trois cent francs." "Je voudrais bien en trouver une à ce prix-là, luit dit la concierge" "Je vous en apporterai une demain répond Rousseau". Deux jours plus tard, la concierge allait le dénoncer. Les agents du Contrôle économique vinrent arrêter Rousseau dans le poste. La concierge était à la porte pour confirmer que c'était bien lui. Rousseau fut condamné à six mois de prison pour trafic de cartes d'alimentation. Ensuite il fut expédié en Allemagne pour la Travail obligatoire. Il y mourut en 1944 sous un bombardement. Le 25 août nous sommes allés chercher la concierge. Elle fut mise au violon, après avoir reçu une paire de claques. Elle en aurait reçu d'autres si le chef de poste ne s'était interposé. Elle fut condamnée à six mois de prison. Avouons que pendant la guerre nous vivions avec de bons français.
Le 17 août à 9 h, sommes avisés que les troupes américaines sont à Arpajon (17 km de Paris) et que les divisions blindées sont à Chartres, Orléans, Melun et Beauvais. On nous assure que deux de ces divisions se dirigent vers Troyes.
A 10 h, la grève générale de la police est décidée avec interdiction de porter la tenue.
Franchement nous attendions et, même nous espérions la venue des troupes de libération d'un instant à l'autre.
Les divisions blindées allaient de l'avant jusqu'à ce qu'elles trouvent une résistance. Alors elles s'arrêtaient et faisait appel à l'aviation pour neutraliser cette résistance. Le gros de l'armée venait parfois plusieurs jours plus tard pour nettoyer et occuper le terrain. C'est pourquoi, le fort de Vaujours ne fut occupé que le 28 août, alors que le 17, les Divisions blindées étaient passées à une dizaine de kilomètres de lui (le fort se trouve à 14 km de Paris, banlieue Est).
Le 18 août, nous sommes officiellement prévenus qu'une trêve de 24 heures vient d'être conclu, entre la Résistance et les allemands avec promesse qu'aucun coup de feu ne sera tiré de part et d'autre Avec cette trêve il a été décidé qu'un couloir serait toléré dans Paris pour permettre le passage des troupes allemandes remontant du Sud de la France. L'itinéraire était le suivant : Avenue d'Orléans, Boulevard St Michel, Boulevards de Sébastopol et de Strasbourg, Faubourg St Martin et Avenue Jean-Jaurès. Cet itinéraire allait dons de la Porte d'Orléans à la Porte de Pantin.
Pendant ces 24 h, je vous assure qu'il est passé du matériel (transport de troupes et engins blindés de toute sorte). Par contre détachement à pied.
Les coups de feu étaient rares, mais parfois quelques coups étaient tirés sur eux par les fenêtres des immeubles, notamment dans l'Avenue Jean-Jaurès. Aussitôt les allemands répliquaient par quelques coups
Tout en continuant leur retraite. Ce n'était plus l'armée des seigneurs, fiers comme tout et voulant dominer le monde du 13 juin 1940
Le 19 au soir, le couloir de la trêve s'est refermé de lui-même, puisque la Région Parisienne se trouvait encerclé dans une vaste poche avec la Région Versaillaise. La limite de cette poche était Chartres, Mantes, Beauvais, Chalons, Troyes, Melun et Orléans qui étaient toutes aux mains des alliés.
En ce 18 août il convient de faire le point des lieux dans Paris, encore occupés par les allemands :
· Le Grand quartier général : Hôtel Meurice, rue De Rivoli, devant le Jardin des Tuileries
· La Kommandantur : Place de l'Opéra à l'angle de l'Avenue de l'Opéra et du Quatre Septembre
· La Caserne de la Garde : Place de la République
· Les Abattoirs de Vaugirard
· Les abattoirs de la Villette où se trouvaient de gros effectifs en hommes et matériels
· La caserne du 23ème Colonial : Boulevard du Port Royal
Le point le plus dangereux se trouvait à la Villette. D'abord pour sa grande superficie, ensuite par les gros effectifs qui s'y trouvaient et qui risquaient de se joindre aux troupes qui n'ont pas cessé de remonter pendant trente-six heures, dans l'Avenue Jean-Jaurès qui longe les abattoirs sur un côté.
Il est utile de préciser que ces occupations ne gênaient en rien la rare circulation dans les voies longeant ces ilots, sauf pour le Boulevard Macdonald entre les Portes de Pantin et la Villette où les allemands dans les abattoirs tiraient sur tous ceux qui s'y aventuraient. Je connais un Brigadier qui y circulait à bicyclette et qui dut rester couché le long du mur en ciment jusqu'à la nuit. Chaque fois qu'il levait la tête pour partir, une rafale de mitrailleuse lui sifflait aux oreilles.
Les FFI étaient peu nombreux et non armés. Les allemands leur avaient fait constamment une chasse impitoyable pour démanteler leurs réseaux. Ceux habitant dans les trois premiers arrondissements furent convoqués le 19 à neuf heures à la Mairie du 1er arrondissement pour la constitution des groupes et la répartition des grades. Il y eut là 125 hommes.
Les armes nous manquaient. Nous avions douze mitraillettes par arrondissement et chacun notre révolver avec neuf balles.
Le 19 dans la matinée, les FFI ont occupés toutes les Mairies. Le gouvernement de Londres, pendant toute la durée de la guerre, avait parachuté des armes pour la résistance, pour un peu partout en France, notamment au maquis, ou centre de résistance, qui existaient dans la zone non occupée. Les armes ou les explosifs étaient parcimonieusement produites dans la région parisienne car on craignait lors de la libération, la prise de Paris par des éléments de l'extrême-gauche, comme ce fut le cas en mars, avril, et mai 1871. Il est utile de préciser qu'une bonne moitié des vrais FFT, appartenaient au Parti communiste avant la guerre ou était sympathisants, ce qui est pareil. De crainte de revoir les journées sanglantes et les massacres de 1871, les armes n'arrivaient pas.
Police et FFI s'entendaient bien. Ils opéraient de leur côté, nous opérions du nôtre. Jamais d'accrochage ni de rivalité entre nous. Ils avaient leurs chefs, nous avions les nôtres. Leurs centres étaient les vingt mairies de Paris.
La rue de Rivoli fut le théâtre d'un incident peu banal et qui vaut la peine d'être conté.
Le 19 dans la matinée un Brigadier et deux agents sont envoyés rue de Rivoli pour défendre l'Hôtel de ville en cas d'attaque. Tous trois avaient leur révolver et, chacun trois grenades. Ils s'embusquent dans une porte cochère, après avoir prévu leur retraite de secours en cas d'attaque. Soudain un camion allemand venant de la Bastille se dirige vers la Concorde, à petite allure. Deux agents sortent sur le trottoir et lancent chacun une grenades devant le camion qui venait vers eux. Les grenades explosent, le camion s'arrête et, aussitôt les cinq allemands descendent (trois devant et les deux autres derrière) et lèvent les bras en criant "camarades". Une trentaine d'agents cachés dans les alentours arrivent et, un groupe se charge d'emmener les prisonniers au poste St Merri à une centaine de mètres. Le Brigadier déclare prendre possession du camion. A l'intérieur il y avait une quarantaine de caisses en bois et clouées. L'un des deux agents après quelques tâtonnements arrive à mettre le véhicule en marche. Un homme debout sur chaque marchepied, ils partent avec l'intention de conduire le camion devant la poste de l'Avenue Thorel (2ème). Mais, pour aller de l'Hôtel de ville à la rue Thorel, il faut traverser le fameux couloir où les convois allemands circulent. Des éclaireurs proposent de les appeler dès qu'une accalmie se produira dans le Boulevard Sébastopol. Cette accalmie arrive ; ils sont passés. Le camion devant le poste, il faut voir le contenu des caisses. Quel bonheur ! Ce sont des caisses de mitraillettes allemandes toutes neuves. Il y en a environ six cents. On en charge une. On sort dehors pour tirer en l'air. Impossible de la faire marcher. Parmi les prisonniers il y a un adjudant, on décide de le faire sortir du violon pour nous expliquer le maniement. Sous bonne garde, il nous explique volontiers le démontage et le maniement. Comme des caisses de cartouches sont également dans le camion, il y a de quoi armer tous les hommes de l'arrondissement. On se sent plus fort pour la résistance, en cas d'attaque. Dès lors des sentinelles avancées sont placées aux alentours des postes.
Moins de vingt-quatre heures après, il fallut faire porter une grande de notre trouvaille à la Préfecture où là aussi on manquait d'armes et de munitions, pour les deux mille policiers qui s'y trouvaient enfermés depuis le 17 août.
Le 19 à 14 heures, une alerte sérieuse. Un tank, venant de la Madeleine par la rue des Petits-Champs, tire quatre ou cinq coups de canon sur l'immeuble de la Banque Dreyfus, rue de la Banque. Branle-bas parmi nous. On suppose une attaque sur notre poste et sur la Mairie du 2ème dans le même bâtiment. Après les coups de feu, le tank repart, mais nous avions eu peur. Du coup, on décide de renforcer les sentinelles avancées et d'en placer d'autres plus avancées encore.
Depuis le matin du 18, très peu sont retournés à leur domicile. Nous sommes tous en civil. On mange où on peut, l'essentiel c'est d'avoir un repas potable le midi ; le reste de la journée on grignote ce qu'on peut. La boisson ne manque pas, la cave du restaurant "Le Caneton" rue de la Bourse peut nous suffire pour soutenir un siège ; nos collèges y montent une garde sérieuse de nuit comme de jour. On boit son nécessaire, mais sans excès. On dort où on peut pendant que les sentinelles veillent ; la plupart du temps sur un banc dans une salle de la Mairie.
Nous craignons tous, en retournant chez nous d'être arrêtés. Ici nous sommes bien, et surtout nous sommes nombreux et, nous avons des armes. Il n'est pas question d'emporter une mitraillette pour aller à son domicile ; alors on reste avec les copains. Et au cours du trajet, en civil et isolé on risque le pire, surtout qu'une cinquantaine ont ainsi été arrêtés et sont détenus au Mont-Valérien, notamment notre collègue le Brigadier Brunel.
D'ailleurs, la majorité d'entre nous n'avait plus sa famille sur place. A la fin de juin, notre Préfecture avait facilité, gratuitement, le départ des familles vers la province en raison du ravitaillement qui s'amenuisait de jour en jour, par manque de transport. Peut-être aussi qu'en haut lieu, on prévoyait la Libération, sans savoir comment elle allait se faire.
Pendant toute la guerre, nous n'avions jamais eu à nous plaindre ni des Préfets, ni des Directeurs. Ils vivaient comme nous une période difficile. A maintes reprises ils ont fait de petites choses pour le personnel qui adoucissaient quelque peu la tâche délicate te difficile que nous avions à accomplir. En M. Bussières notamment, nous avions retrouvé un second Chiappe, qui fut le plus autoritaire mais, en même temps, celui qui fit le plus de bien à la Police Parisienne.
Le 19 dans l'après-midi l'annonce nous est faite que le couloir sera fermé à 22 heures. Des dispositions sont prises pour y interdire toute circulation. En de nombreux points de gros platanes sont sciés au pied et couchés en travers de la chaussée. Aussitôt couchés les matériaux le plus divers sont placé à côté, notamment des sacs de sable que l'on avait à profusion dans les immeubles.
Dès le début de la guerre, la Défense passive avait fait placer dans tous les immeubles et, sur chaque palier des étages, des sacs de sable pour arrêter les incendies en cas de bombardement.
Ces sacs étaient les bienvenus pour édifier des barricades. Aussitôt qu'une barricade s'amorçait, un va-et-vient de porteurs de sacs avait lieu aussitôt. Tout le monde s'y mettait, hommes, femmes et, surtout des jeunes qui y prenaient plaisir.
Une équipe de FFI avait la consigne de défendre la barricade. Quelques mitraillettes, quelques fusils de chasse, quelques grenades étaient à leur disposition, mais ils manquaient vraiment de moyen de défense. Beaucoup d'entre-eux furent tués en défendant ces barricades, d'autre furent blessés et moururent faute de soins.
L'édification de barricades dans les voies principales de tout Paris ne se justifiait pas. La fermeture du couloir était nécessaire. Il était choquant de voir se continuer cette provocation de la traversée de la ville, alors qu'elle était pratiquement libérée. Il ne s'agissait pas de troupes cherchant le combat ou une conquête quelconque mais se défendait pour fuir et retrouver au plus vite le gros de l'armée. Tous voulaient aller vers l'Est.
Ces barricades ont causé des morts et des dégâts inutiles. Nous avons vu des camions chargés de troupes et des tanks prisonniers dans la poche, arriver dans Paris et tourner en rond pendant des heures pour arriver à s'en sortir. Il y avait des bonnes volontés, mais les armes étaient insuffisantes pour les faire prisonniers.
Il eut été préférable de laisser libre, la ceinture des boulevards entourant Paris pour qu'ils aillent se faire capturer plus loin puisque la poche était réellement fermée depuis plus de 24 heures.
Rue Gréry, dans notre arrondissement se trouvait le Centre pour le déclanchement des alertes dans toute la région parisienne. Par lui, nous avions à volonté des renseignements de l'extérieur, notamment sur la marche des alliés et des villes libérées.
Par le réseau des avertisseurs de Police nous savions exactement le nombre de véhicules sur l'arrondissement et la direction qu'ils prenaient.
Le 19 à 22 heures, le couloir était fermé à la circulation. Mais dans la fameuse poche, les allemands avaient encore un assez gros matériel. La remontée du Sud vers l'Est était terminée, mais il restait ceux de la poche qui voulaient fuir vers l'Est en traversant Paris.
Au cours de la nuit, des barricades se sont élevées, un peu partout dans la ville.
Sauf quelques escarmouches par-ci, par-là on peut dire que la nuit fut assez calme. L'édification des premières barricades dans l'Avenue d'Orléans, ne se fit pas sans heurts. Des FFI ont été tués en les édifiant ou en voulant les défendre ensuite. Les premières furent enfoncées par les tanks, mais elles se reformaient aussitôt.
A 21 heures, la police chaque arrondissement édifia des barricades aux voies importantes pour interdire le passage dans son secteur. Il est utile de préciser que la circulation était nulle. Pas d'auto, deux ou trois cyclistes toutes les cinq minutes et autant de piétons, c'est tout ce que l'on voyait. La population restait chez elle, attendant des jours meilleurs.
Depuis plus d'un mois, il n'y avait plus d'essence, pas de métro, pas de train, toutes les gares de Paris étant fermées. Pas de téléphone, journaux, et de courrier. Une heure de gaz par jour et pas 'électricité. Les deux tiers des boutiques d'alimentation étaient fermée et, ceux qui étaient ouvertes avaient peu de chose.
C'était la fin de ces quatre années de cauchemar. Les gens restaient chez eux. Comme nous attendions l'arrivées des Alliés et, trouvaient aussi qu'ils tardaient trop.
On sut plus tard que le Commandant en Chef des Alliés, refusait à de Gaulle que les premières troupes à pénétrer dans Paris, seraient des troupes françaises.
Replis
Dès les premiers jours chacun été avisé de ne pas attaquer, soit un tank, soit un camion de troupe, sana avoir prévu à l'avance un lieu sûr pour le repli en cas de riposte. Même chose pour la défense des barricades. Une grande partie des policiers tués n'avaient pas prévu un lieu sûr pour le repli. Un exemple nous avait été donné dans le 16ème arrondissement où sept jeunes gens d'une vingtaine d'années s'étaient placés dans un garage et tiraient sur les allemands qui passaient. Ils revinrent en nombre et les fusillèrent dans le garage, ce garage n'avait aucune issue de secours.
Tous ceux qui ont été tués autour de la Préfectures (dont une plaque commémore l'emplacement de leur mort) l'ont été pour avoir attaqué, ou riposté à une attaque, sur un trop long espace à découvert. Pour la Préfecture le repli était prévu dans le métro par la sortie du métro débouchant dans la cour.
Journée du 20 août
Dans l'après-midi ce fut l'attaque de la Préfecture qui fit de nombreux morts parmi les policiers. Nous n'avons pas eu connaissance que des FFI, soient tombés dans cette attaque qui fut faite par quatre tanks, deux devant l'Eglise Notre-Dame, un autre Place S-Michel et le quatrième sur le Petit Pont. Cette attaque de la Préfecture n'avait aucun sens. Si réellement, ils voulaient reprendre la Préfecture il ut fallu enfoncer les quatre portes d'accès et faire suivre les tanks, de troupes pour nettoyer et occuper les locaux. Il y avait là uniquement une volonté de destruction et d'apeurement dans la Résistance qui en était maitresse depuis trente-six heures.
De nombreux obus de tanks furent tirés sur les façades où les agents ripostaient avec des rafales de mitraillettes. Les deux tanks devant Notre-Dame furent incendiés, les deux autres se retirèrent. A l'intérieur il y avait des morts. Autour de la Préfectures, il y en avait d'autres qui, pour la plupart ont été tués en courant à découvert, pour aller chercher refuge dans la Préfecture. Des plaques indiquent leur nom à l'endroit où ils sont tombés
Journée du 21 août
Cette journée fut calme. De temps à autre un véhicule qui cherche à fuir. Les cinq points occupés par les allemands sont toujours les mêmes. On sait qu'ils sont là, mais on ne les voit pas. On circule dans les rues devant chez eux sans se soucier qu'ils sont là. Il en est ainsi jusqu'au 26 août où les troupes alliées vont prendre possession de leurs locaux sans trouver de résistance.
Journée du 22 août
On se sent mieux chez soi. Les piétons et les cyclistes commencent à circuler. La plupart se promène pour voir, en curieux.
Journée du 23 août
On reprend goût à la vie, mais, les alliés ne sont toujours pas là ; ils doivent être informés qu'on les attend. Toujours pas question de reprendre la tenue, ni de rentrer chez nous. On craint de ne pas être là pour l'arrivée des Alliés qui pourrait se faire sans que nous soyons prévenus. En raison du calme réel, les sentinelles avancées sont supprimées. Les prisonniers sont toujours dans les violons ; ils ont bon moral. On commence à les connaître depuis qu'ils sont là. Comme nous ils attendent patiemment la Libération.
Journée du 24 août : LE GRAND JOUR
Dans la matinée des bruits circulent que c'est pour ce soir. Après plus ample information ; il se pourrait mats ce n'est pas certain. Dans de telles heures tristes, la moindre information, même semi-officielle, vous remonte instantanément le moral.
Vers midi, des ordres officiels, ceux-là, demandent de détruire les barricades pour faciliter le passage des véhicules sur les chaussées. Dans chaque arrondissement on connaît leurs emplacements, des équipes sont désignées pour se rendre sur place, mais les FFI sont déjà à l'œuvre, car ils ont reçu les ordres avant nous. Nous les laissons faire.
Je vous assure qu'il y avait des volontaires pour leur donner la main ; toutes les classes et tous les âges étaient représentés. Si les Parisiens brillaient dans les rues par leur absence, ils avaient maintenant retrouvé un grand besoin de prendre l'air.
Par quel point cardinal allaient-ils entrer dans Paris, nul ne le savait ; tout ce qui se précisait d'heure en heure, c'est que s'était pour ce soir. Les voies sont dégagées, ils peuvent venir.
En banlieue, les allemands sont retranchés sur certains points notamment à Versailles. Le Mont Valérien est toujours entre leurs mains avec une quantité de patriotes résistants dont les exécutions ont toujours lieu chaque jour.
24 août 18 heures
Une traction-avant noire avec les lettres FFI en gros caractères sur la carrosserie et occupée par quatre hommes, annonce à la Préfecture, qu'elle vient de quitter une Division Blindée Française à Longjumeau, se dirigeant vers l'Hôtel de ville par la Porte d'Orléans (la fameuse porte du couloir autorisé). Il n'y a aucune résistance. Aucun coup de feu n'est tiré, mais leur marche est très difficile en raison d'une foule énorme qui les précède pied dans la traversée de Longjumeau.
A 21 heures, une foule énorme de personnes de tous les âges, tenant toute la largeur du Boulevard St-Michel, sur une profondeur d'environ deux cents mètres, marche au pas accéléré devant les chars français qui les suivent. Place du Parvis de Notre-Dame la foule s'écarte pour laisser passer les chars. Une vingtaine accélère l'allure vers l'Hôtel de ville. La foule suit derrière en courant.
A 21 heures 30, les vingt chars sont acculés au trottoir devant l'Hôtel de Ville. La place et les rues qui y aboutissent sont noires de monde. La foule ne dit rien. Les soldats au béret rouge sont sur leurs chars.
A 22 heures toutes les cloches de Paris se mettent à sonner à toutes volées. A mon avis l'heure avait dû être prévue à l'avance. Toujours le même silence dans la foule.
A 23 heures, les chars partent, deux par deux, dans toutes les directions. Quels sont les ordres reçus ; quelle est leur destination ? Eux seuls le savent. Nous suivons les deux derniers qui prennent la rue St-Martin en direction de la Gare de l'Est. A peine ont-ils fait cent mètres qu'une foule très dense leur barre la rue. Les chars s'arrêtent. Les femmes montent sur les chars et portent les hommes à l'intérieur des immeubles. On les embrasse ; on crie, tout le monde veut les toucher. Les deux chars sont là sans soldats. Les gosses montent dessus. La foule est autour. Certains se frayent un chemin pour venir les toucher.
Tout à coup, les instruments de musique les plus divers se font entendre autour de nous, tout le monde danse. Que pense-t-ils ? Nul ne saurait le dire, tant le méli-mélo est indescriptible. C'est tout simplement la danse de "La Libération".
Une demi-heure plus tard, les soldats du premier tank remontent sur leur char. Dix minutes après ceux du deuxième arrivent. Ils repartent au ralenti car on danse toujours dans la rue jusqu'à la Gare de l'Est.
Il est minuit quinze à la pendule de la Gare de l'Est, lorsque nous les abandonnons pour retourner à pied à la Mairie du 2ème. On pourrait croire que tous les Parisiens sont hors de chez eux, tant il est difficile de circuler. On danse, on chante, on rit, on embrasse le premier venu, tellement la joie est grande. Il n'y a pas d'erreur, ils sont là.
Quiconque n'a pas vécu ces heures, ne ressent pas les mêmes joies qu'une personne présente lorsqu'elle se remémore ces instants qui ne vous arrivent qu'une seule fois dans la vie.
Dans la nuit du 24 au 25 a eu lieu l'attaque de l'Hôtel Meurisse où se trouvait le Quartier Général "Von Gross Pariss". L'opération a dû commencer tard dans la soirée. Seuls les FFI s'en sont chargées. La Police n'y a pas pris part. La neutralisation de cet immeuble était de toute nécessité puisque de Gaulle devait passer devant, et à pied dans l'après-midi du 25. On ne le voyait pas très bien passer dans la rue de Rivoli, pendant que les "Chleuh" où les frisés comme on les nommait, se mettent à la fenêtre pour le regarder.
Le représentant de la Suède, à son ambassade 25 rue de Bassano '8ème), a joué un très grand rôle pendant ces tristes journées en épargnant des vies humaines et, sans doute de gros dégâts. A plusieurs reprises nous avons eu des échos de ses interventions. Son nom n'est pas connu mais on aurait pu le donner à une rue de Paris, surtout qu'il est à peu près certain que ses interventions, il les faisait de lui-même, sans référer à son pays, puisque nous étions isolés du monde.
25 août – lendemain de La Libération
Il est deux heures lorsque nous retrouvons nos collèges. On s'assoit dans un coin pour dormir un peu. Les yeux sont fermés, mais on ne dort pas. On revit les évènements de la veille. Une journée que l'on attendait depuis quatre ans.
Il est cinq heures, le jour est venu. On se débarbouille et on casse une croute. A huit heures l'ordre arrive de reprendre la tenue et de se préparer à aller dans l'après-midi, maintenir la foule sur le passage de De gaulle qui doit descendre les Champs Elysées à pied pour aller à l'Hôtel de Ville. Les services du 2ème assureront le service Place de l'Hôtel de Ville. Il n'y eut aucun militaire en tenue tout au long du parcours, pas plus que dans le cortège. En dehors des Français sur des chars, hier soir, nous n'avons pas vu d'autres soldats.
Vers 16 heures, étant sur la place, nous entendons des coups de feu provenant de la Rue de Rivoli où doit passer le cortège. Les coups de feu se répètent ; on se demande de quoi il s'agit ?
Le cortège débouche sur la place. Les coups de feu partent des immeubles bordant la place. La foule prise de panique se couche par terre, se cache derrière les arbres ou se sauve dans les immeubles. On tire des immeubles, de l'Hôtel-Dieu et, même des tours de Notre-Dame.
Impassible De Gaulle et le groupe qui l'accompagne, continue leur marche, traverse la place et vont dans l'Hôtel de Ville où la nouvelle municipalité les attend. A leur sortie, les coups de feu se font de nouveau entendre. Des voitures les attendent à la porte. Ils y montent et ils sont partis malgré les coups de feu tirés des immeubles et qui cessent aussitôt leur départ.
Dans la foule il y a une vingtaine de blessés par balles, ils sont transportés à l'Hôtel-Dieu tout proche. Et la chasse commence dans les immeubles pour retrouver les auteurs. Trois ont été abattus, cinq ont été arrêtés dont trois dans l'Eglise Notre-Dame. D'autres furent introuvables. Il s'agissait d'extrémistes de droite, partisan du régime de Vichy. D'autres tireurs du même genre furent arrêtés dans les deux jours qui suivirent.
A 19 heures le service est levé. Nous rentrons au poste où on nous annonce que la marche des Brigades avec un service normal va reprendre à minuit. Ma Brigade reprenant normalement à huit heures le lendemain matin, je prends mon vélo et rentre chez moi à Pantin où je n'étais pas revenu depuis une semaine. Le concierge ouvrit de grands yeux en me voyant de retour. Un brin de toilette ; un casse-croute et hop dans les draps. Comme j'étais bien dans mon lit.
Ceux qui me liront se demandent à quoi j'ai rêvé dans mon profond sommeil ? Je leur réponds simplement : "Que Paris a été libéré le 24 août 1944.
Le 26 août 1944
Vers quatre heures je suis réveillé par un bruir assourdissant et continu provenant de la Place de l'Eglise, au pied de l'immeuble où je suis et, où passe la Nationale N°3, allant à Strasbourg. J'entends nettement des personnes qui crient. J'ouvre la fenêtre et, aussi loin que je peux voir, une file ininterrompue de véhicules américains, la plupart très lourds, qui suivent la route et se dirigent vers l'Est. Malgré l'heure matinale, une foule de gens sur les trottoirs les acclament. Les soldats leur jettent au passage des bonbons et des friandises.
Il n'est plus question de me recoucher et je me demande comment je vais pouvoir me faufiler, en vélo à travers ce matériel et cette foule pour être à huit heures, rue de la Banque (2ème). Là j'apprends que les troupes Américaines ont pénétré dans Paris, peu avant minuit. Il y en a partout. Pas une rue importante qui n'ait vu passer une colonne de ce matériel lourd. C'est une véritable invasion, mais, cette fois, c'est la bonne. Le pavé des rues qui se reposait depuis une bonne semaine est ms maintenant à dure épreuve. Dès qu'un engin s'arrête, les civils montent dessus, embrassent les soldats et, souvent les font descendre. En de tels moments, cela est difficile à expliquer, on a plus conscience de vivre mais de se trouver dans un autre monde.
Le film "Paris brule-t-il" que j'ai vu deux fois au Moulin-rouge en octobre et novembre 1966 retrace vraiment bien les "Journées de la Libération"
Les ayants vécues, je me permets de faire deux critiques :
1. L'attaque de la Préfecture a été faite par quatre chars et non par deux
2. Les vingt chars arrivés le 24 à l'Hôtel de Ville, n'ont rencontré aucun élément allemand sur le parcours entre la Porte d'Orléans et ce terminus. La difficulté qu'ils ont trouvée, c'est la foule qui les précédait. Une foule tenant toute la largeur de la voie, sur une longueur d'environ deux cent mètres devant les chars. Depuis plusieurs jours aucun engin allemand ne se trouvait dans Paris, sauf, peut-être dans leurs cantonnements de repli, comme les Abattoirs de la Villette, mais c'est peu probable. Depuis le 17 août, nous avions une garde vigilante, nuit et jour, près de l'avertisseur de police, place de l'Opéra avec mission de rendre compte du passage d'un véhicule allemand avec la direction qu'il prenait. Sur cette place de l'Opéra (carrefour de nombreuses voies) il y avait plusieurs s jours qu'aucun passage n'avait été annoncé. A noter en passant que cet avertisseur se trouve d'un côté de la rue et qu'en face se trouvait la 3kommandatur" où toutes les portes étaient fermées depuis plusieurs jours sans seulement une sentinelle devant.
Le 26 août fut le jour du nettoyage qui se fit sans dommage. Tous les points de résistance des allemands furent liquidés ce jour-là.
Vers midi, avec mon collègue Clergeot qui habite à 1 km d'ici, nous fûmes avisés que l'attaque de la "Kommandatur" (Place de l'Opéra) se ferait à 14 heures. En curieux nous étions sur place bien avant l'heure. A 13 heures 45 quatre chars américains, (sans troupe à pied pour les soutenir) se placent avec le canon braqué vers la "Kommandatur" deux sur la Place de l'Opéra, un autre à environ cinquante mètres dans la rue du Quatre Septembre et, le quatrième à cinquante mètres dans l'avenue de l'Opéra.
A 14 heures une vingtaine de coups de canon sont tirés par les quatre tanks. Les obus devaient chargés à blanc, car il n'y eut aucun dégât ni blessé. Aussitôt la fenêtre du premier étage s'ouvrit. Plusieurs allemands s'avancèrent sur le balcon, l'un deux agitait un grand drapeau blanc. De chacun des deux chars sur la Place, un officier descendit et, tous deux s'avancèrent vers la porte d'entrée qui s'ouvrit toute grande, quand ils s'en trouvaient à quelques mètres. Au même instant arrivaient devant la "Kommandatur", deux camions d'américains qui descendirent et s'approchèrent. Ils firent la haie des deux côtés et escortèrent une cinquantaine d'Allemands qui partirent en file indienne par l'Avenue de l'Opéra. Cette prise ressemblait quelque peu à une scène de cinéma préparée à l'avance pour être filmée.
Aussitôt une foule de gens arrivée à deux cent personnes, pénétra dans l'immeuble, ouvrit les fenêtres pour jeter dans la rue les objets les plus divers, notamment des papiers. Un car de Police-Secours fut appelé pour faire évacuer l'immeuble. A quinze heures, portes et fenêtres étaient fermées. La "Kommandatur" n'existait plus. Pour la Police, c'était la fin d'une corvée, car depuis leur arrivée il avait fallu assurer nuit et jour un service de trois agents et un brigadier à l'extérieur, et, malheur si l'un de ces quatre hommes s'absentait sans avoir été remplacé.
A la Caserne de la Garde Républicaine, Place de la République ce fut beaucoup plus simple. Dès qu'ils virent les chars manœuvrer sur la Place, une cinquantaine d'Allemands sortit en ordre avec un grand drapeau blanc et se dirigea vers les chars. Il n'y eu pas de coups de canon. Aussitôt la sortie des allemands, un camion monté par une vingtaine de soldats américains est venu se placer à l'entrée de la Caserne pour en interdire l'accès au public .Les Allemands montèrent dans ces camions pendant qu'autour la foule criait en leur montrant le poing. Là encore, c'était fini.
Il est utile de préciser qu'en dehors des Français arrivés sur les vingt chars, Place de l'Hôtel de Ville le 24, nous n'avons vu aucun autre soldat Français, ni même Anglais main uniquement des Américains avec du matériel américain.
Agrée interprète Anglais et Espagnol en 1930 par la Préfecture, j'éprouvais un grand plaisir à lier conversation avec les soldats qui nous avaient libéré. Je n'ai jamais rencontré d'autres soldats que des Américains. Dans les semaines qui suivirent la Libération, il m'est même arrivé d'effectuer des services de voie publique avec leur gendarmerie aux armées, reconnaissable au brassard sur le bras gauche, portant les deux lettres M.P. (Military – Police). Il nous est aussi arrivé d'être appelé par des débitants de boissons pour des soldats causant du scandale après avoir bu. Pour ce genre d'affaires il convenait d'arranger les choses au mieux. Comment voulez-vous sévir contre des soldats qui furent nos libérateurs.
Espérons que cette guerre voulue par les Allemands pour dominer le monde et qui a dépassé en horreurs et cruautés, toutes celles que la France a connu depuis qu'elle existe, leur servira de leçon par les représailles qu'elle a subi et qu'elle subit encore de la part de la Russie, les calmera et leur ôtera pour longtemps l'envie de recommencer. La fraternité Franco-Allemande que l'on nous propose ne pourra, à mon avis, avoir son plein effet lorsque notre génération aura disparu.
Pour terminer, j'avoue que mon récit n'est pas parfait. J'ai simplement voulu écrire ce que j'ai vu, ce que j'ai fait et ce que je savais dur "La Libération" de Paris le 24 août 1944.
J'offre ce modeste manuscrit à Théophile Macron, un bon et vieux copain de toujours, mais surtout avec beaucoup d'amitié.
Joseph – A Courtry le 13 octobre 1968.
Date de dernière mise à jour : 15/06/2019