L’entraînement.
La tâche est rude. Hâtivement instruit au camp de Cercottes, le personnel des trois bataillons, à part quelques exceptions, ne connaît de l’appareil que la conduite.
Une étude technique sérieuse doit en faire connaître, dans tous les détails, les multiples organes.
L’emploi tactique est à étudier pour être mis immédiatement en application. Le temps presse. Le 7e bataillon au camp de Champlieu, les 8e et 9e dans la forêt de Fontainebleau, s’entraînent sans répit.
La concentration de ces trois bataillons au camp de Mailly, le 1re juillet, donne au 503e une personnalité qui va s’affirmer de plus en plus. Ce ne sont plus des unités isolées, travaillant pour leur compte personnel, elles participent à des actions d’ensemble, se connaissent, s’étudient, se comparent.
L’isolement absolu du camp oblige chacun à n’avoir comme souci que celui de sa fonction, du rôle qu’il joue et de celui qu’il sera appelé à jouer.
« On n’est pas là pour longtemps », disent des poilus dans ce langage vrai qui leur est familier et qui, en quelques mots, sait préciser tout un monde d’idées.
On n’en travaille qu’avec plus d’ardeur et de conscience.
A partir de ce moment, l’appareil confié à un équipage n’est plus une simple machine dont on a l’entretien. « Mon char » représente, pour son équipage, une personne à qui on va se confier. C’est un ami.
Le char est, parmi tous les instruments de guerre, celui auquel l’homme devait le plus s’attacher. Chefs de char et mécaniciens comprennent que leur rendement au combat et leur vie propre dépendent des qualités de leur appareil. Les chars se couvrent de noms. Certains inscrivent un nom qui leur tient au coeur, d’autres le nom d’une vertu guerrière, d’autres enfin, par des signes, narguent l’ennemi qu’ils veulent abattre.
L’alerte le 14 juillet 1918.
C’est dans un état d’esprit singulier, que le 14 juillet 1918, le 503e régiment entier est alerté. Une nouvelle et puissante attaque allemande est imminente. Une gaieté rayonnante préside aux préparatifs de départ.
Dans le plus grand calme, les bataillons s’ébranlent et se séparent pour prendre place dans les secteurs où ils sont attendus.
Dans un même secteur, à leur tour, les compagnies suivent leurs missions spéciales, les sections enfin prendront leur autonomie à leur base de départ. Eloignées les unes des autres, les différentes
compagnies apprennent avec un intérêt marqué les situations nouvelles faites à leurs soeurs. Déjà les reconnaissances se croisent. On se dit à peine bonjour, mais les yeux parlent. L’heure n’est plus aux phrases banales. Tout en restant gais et pleins d’entrain, les visages marquent une note sérieuse.
L’infanterie, avertie de la présence du régiment, attend son intervention avec scepticisme.
A la veille de l’attaque, chaque chef de section lit à son personnel l’ordre du jour du commandant Michel :
« Officiers et hommes du 503e ! N’oubliez pas le mot d’ordre du régiment. Canons et mitrailleuses pour neutraliser et tuer. Chenilles pour pilonner le Boche s’il résiste. Toujours en liaison étroite avec notre infanterie. Camarades, la journée de demain verra briller votre gloire. »
Puissante exhortation qui, dans le fracas des éclatements allemands, exaltait encore à la haine du Boche et la volonté de l’abattre.
2ème bataille de la Marne.
Les Allemands déclanchent le 15 juillet l’offensive prévue sur la Marne. Sur l’Ourcq, notre VIe Armée, appuyée par le 503e régiment, prépare une contre-offensive sur l’aile droite allemande. Elle se déclanche le 18 juillet de la base générale de départ marquée par l’Ourcq en direction nord-est.
Les 7e, 8e et 9e bataillons sont affectés respectivement aux 2e, 47e et 163e D. I.
Du 18 au 26 juillet, les combats se succèdent sans arrêt ; à leur tour, les sections s’élancent à l’attaque ; retirées du combat pendant un jour, sans prendre de repos, elles remettent leur matériel en état pour reprendre immédiatement la lutte.
Des reconnaissances partent dans toutes les directions. Un contact étroit s’établit entre l’artillerie d’assaut et l’infanterie.
Rapidement celle-ci est mise au courant du mode d’action des chars et, avec une conscience remarquable, des équipes de travailleurs vont faciliter aux nouvelles machines de guerre leur marche d’approche en leur frayant un passage dans un terrain bouleversé. Le 7e bataillon appuie les attaques des 208e, 8e et 305e régiments d’infanterie et le 4e groupe de B. C. P.
La cote 63, le ravin de Mortefontaine, Marguy, sont les objectifs à atteindre. Des attaques menées par l’infanterie quelques jours auparavant avaient échoué. L’abondance des mitrailleuses ennemies enrayait les efforts de nos troupes. D’un seul élan, tous les objectifs sont atteints par les chars, suivis de près par l’infanterie, qui, occupant les positons, s’y installe solidement
Le 8e bataillon, dans cette même journée, aide les 50e 70e 115e 54e et 14e B. C. P. et assure à nos armes la conquête des villages de Monnes et Cointicourt.
Au 9e bataillon, la 325e compagnie permet aux chasseurs à pied une avance de 9 kilomètres dans la direction de Sommelans. Le matériel capturé par cette compagnie est considérable : 7 canons de 77, un grand nombre de mitrailleuses sont le fruit de ces engagements consécutifs.
Le moral des équipages est splendide. Un jeune mécanicien dit après ce premier engagement :
« Je suis allé au combat comme à une fête. »C’est encore la guerre pour ceux qui l’ont faite dans d’autres armes, mais elle se présente à eux sous un jour tout nouveau. L’impressionnant sifflement de l’obus qui arrive n’est plus entendu, les balles de mitrailleuses crépitent sur les blindages, ne provoquant que le sourire narquois de l’équipage ; on oublie même le danger.
L’infanterie donne sa confiance aux chars, son enthousiasme est indescriptible.
Le 19 juillet , entraînées par l’exemple de celles qui les avaient précédées, d’autres unités partent, avec le même élan, le même courage.
Dans cette matinée du 19 juillet, une section de chars du 9e bataillon, exécutant sa marche d’approche, rencontre un capitaine d’infanterie grièvement blessé au bras : « Tâchez de faire
comme vos camarades de la section du 8e bataillon, dit-il, les Boches ne tiendront pas longtemps. »
Le fantassin n’est pas très prodigue de compliments et, pour provoquer son admiration, il faut un acte qui sorte de l’ordinaire.
A la fin de la journée du 19 juillet, la cote 127, Neuilly-Saint-Front, la ferme Maubry, la ferme de Vaux, tombent entre les mains de la 2e D. I., tandis que la 47e D. I., soutenue par les chars du 8e bataillon, s’empare de Remontraisin et de Rosny. La lutte a été dure ; avertie des succès remportés hier et de la présence d’un grand nombre d’autres chars pour continuer l’attaque, l’artillerie allemande s’acharne sur les endroits où les rassemblements d’appareils étaient possibles, ainsi que sur les points de passage obligatoires. Néanmoins, les sections luttent jusqu’au dernier char.
Une section de la 324e compagnie perd, au cours de l’attaque, rois de ses appareils et réussit avec les deux chars restant à dégager complètement la ligne de chemin de fer puissamment organisée de Monnes à Neuilly-Saint-Front. Elle n’abandonne la lutte qu’au moment où, du fait de l’artillerie ennemie, les chars ne peuvent plus avancer.
Le 20 juillet met en valeur les équipages de la 319e compagnie, qui permettent au 8e R. I. de reprendre le bois de Latilly, Ressons et Trévise.
Le 23 juillet, les compagnies 320, 321 et 327 s’élancent sur le bois du Roi et le bois du Châtelet et en donnent les lisières à la 47e D. I.
Les positions sont âprement défendues.
Une même section de la 327e multiplie les efforts, s’élance trois fois à l’attaque pour donner son appui à trois régiments différents.
Les unités du 8e bataillon, après ces premiers engagements, étaient sérieusement ébranlées. Il fallut reconstituer les équipages et leur donner des appareils auxquels ils puissent accorder toute leur confiance.
Le 24 juillet, une section de la 324e compagnie se distingue pendant toute une journée à l’attaque de Coucy. Malgré les difficultés du terrain, un bombardement incessant, cette section entre la première dans le village, capturant des canons et plusieurs mitrailleuses. Les 25 et 26 juillet, la compagnie 323 reprend l’attaque avec la 164e D. I. Les Plâtrières sont l’objectif à atteindre. La lutte est plus dure ; le mordant de l’infanterie finit par avoir raison de la résistance. Ici encore, les sections luttent jusqu’au dernier appareil. Chaque homme a conscience de l’importance de sa mission et, privé de ses chefs, continue seul la lutte.
Après l’effort considérable accompli par les trois bataillons, le 503e est retiré du combat. Les opérations de la VIe Armée sont terminées. Le 503e emporte la consécration de sa valeur par des témoignages d’admiration de tous les régiments d’infanterie auxquels il avait donné son appui.
« Si vous n’aviez pas été là, disaient des poilus à leurs camarades du 7e bataillon, on n’aurait pas dépassé Passy-en-Valois. Or, la 2e D. I. alla d’un seul bond à tous ses objectifs. »
Un repos nécessaire fut donné au régiment après ces dix jours d’épreuve et de fatigues de tous genres, courageusement supportées. Dans l’Oise, les villages de Survilliers, Pontarmé, Montgrésin, reçurent les différents bataillons avec admiration. Les équipages étaient fiers de montrer sur leurs chars les traces de balles allemandes qui s’étaient écrasées sur les blindages. Avec quelle joie racontaient-ils, sans en oublier le plus petit détail, les combats auxquels ils avaient pris part, avec quelle émotion parlaient-ils de leurs morts. Si le 503e n’était pas connu de l’opinion publique, celle-ci, par la voix des journaux, rendait un hommage éclatant à toute l’artillerie d’assaut.
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