Les Guerres sous Louis XIII et Louis XIV
1639
Les troupes qui avaient hiverné en France en plusieurs endroits s’assemblèrent vers la mi-mars dans les villages situés au-delà de la rivière de Somme, où elles causèrent le plus affreux désordre, lequel ne se peut honnêtement réciter ; les soldats pillèrent, violèrent femmes et filles et démontèrent les moulins à blé ; bref, ils firent tout ce qui peut s’imaginer do plus mal.
Les troupes qui se trouvaient dans le Vimeu et une partie des gens de Gassion qui étaient en garnison à Abbeville quittèrent leurs quartiers le 4 mai pour se rendre à Domart, où était le rendez-vous général. Le même jour, d’autres troupes passaient à Pont- Remy et arrivaient à Domart à trois heures de l’après- midi. M. de Gassion, qui était arrivé à Domart dans un carrosse tiré par six chevaux blancs, donna l'ordre à la cavalerie d’aller loger le jour même à Berteaucourt, à Berneuil, à Saint-Ouen, à Bettencourt , à Saint-Léger et à Haloy . Plusieurs régiments d’infanterie furent campés au pré Grévin, à Domart ; quatre d’entre eux, commandés par M. de Lambert, reçurent l’ordre de se rendre à Franqueville, où M. de Lambert se fit conduire dans un carrosse à six chevaux ; ces derniers restèrent pendant sept jours à Franqueville, où ils causèrent les plus grands dégâts : ils se livrèrent au pillage et démolirent les maisons, les granges et les étables. A Houdencourt5, ils démon¬tèrent la maison de M. de Boispronier. A Saint-Ouen et à Bettencourt, il y avait au moins sept mille hommes de pied et de chevaux ; ils scièrent les blés ou les firent paître, et démolirent les maisons. Des dégâts semblables furent commis dans les autres villages. Le régiment de fusiliers du Dauphin était logé à Berneuil ; c’étaient tous gens de bonne mine, qui portaient des fusils d'une longueur de six pieds.
…Vignacourt et Flixecourt n'eurent aucun soldat à loger, aussi les femmes des villages occupés s'y réfugièrent-elles en grand nombre ; on y conduisit aussi tous les bestiaux. Le même jour, c'est-à-dire le 4 mai, l'armée de M. de la Meilleraye passa par Amiens et campa à Naours et à Talmas, il y avait douze pièces de batterie et six pièces de campagne.
Le dimanche 8 mai, M. le Grand maître vint à Domart avec bon train pour voir M. de Gassion ; M. de Lambert vint tout exprès de son quartier de Franqueville pour recevoir M. le Grand maître. Arrivé au pont, M. le Grand maître descendit de cheval, baisa la botte et salua MM. de Lambert et de Gassion ; il y avait là plusieurs capitaines et officiers qui se tenaient
Tête nue. Ils se rendirent tous à Saint-Nicolas, où était logé M. de Gassion. Après le dîner, M. le Grand maître retourna à son quartier. MM. de Lambert et de Gassion et un grand nombre d'officiers l'accompagnèrent jusqu'à la montagne du pré Jean Lebel, à mi-chemin de Saint-Léger. M. de Gassion était monté sur un cheval fougueux qui, en se cabrant, renversa son cavalier ; plusieurs officiers le relevèrent vivement. de Gassion avait fait rester à Domart de huit à dix mille hommes tant de pied que de chevaux. La cavalerie fut logée à l'intérieur du bourg ; quant à l'infanterie, une partie campa vers la cense de la Prée et l'autre partie vers Saint-Ladre ; pour se mettre à couvert, les fantassins établirent des huttes.
Il n'y avait aucune maison dans le bourg qui n'eût moins de sept à huit chevaux ; il y en avait jusqu'à vingt dans les maisons les plus importantes. Il y eut bientôt deux pieds de fumier répandant une odeur infecte ; cette puanteur provenait de ce que les chevaux étaient nourris avec du blé que l’on sciait vert. Deux cents charrettes de vivres et de munitions arrivèrent aussi à Domart ; elles furent rangées clans trois jardins en face de la maison de Jean Foubert ; le plus bel ordre présida au rangement de ces charrettes, qui furent disposées en forme de limaçon, aussi n'y eut-il aucune confusion au départ.
….
Le maréchal de Châtillon ayant fait lever le siège de Mouzon, son avant-garde de cavalerie reçut l'ordre de se rendre à Hesdin ; elle passa par Pont-Remy et arriva à Domart le vendredi 30 juin ; les habitants ayant été avertis de leur arrivée se réfugièrent en toute hâte dans le château avec leurs bestiaux, mais les soldats n'essayèrent point d'y pénétrer. Lorsque leurs logements furent pris, c'est-à-dire vers deux heures de l'après-midi, ces cavaliers allèrent faucher les blés et surtout les lentilles ; ils causèrent ainsi les plus grands dégâts dans les champs. La ruine fut encore plus grande pour les maisons ; lorsqu'ils ne trouvaient point de paille, ils enlevaient le chaume des toits et démolissaient les murs intérieurs et les cloisons des habitations pour y loger leurs chevaux plus à l'aise. Il leur avait été interdit de molester les paysans ; malgré cet ordre, plusieurs habitants de Domart furent frappés.
Le lendemain samedi 1er juillet, ils décampèrent à dix heures du matin et prirent le chemin de Gorenflos; le bagage filait le long du chemin escorté de quelques cavaliers. Quant au gros de la cavalerie, qui marchait par escadrons serrés et en ordre de bataille, il prit le chemin du Chéchez et passa par Franqueville. Des coureurs éclairaient la marche de ces troupes, mais c'était pitié de voir ces coureurs ou pour mieux dire ces voleurs qui pillaient les habitants…
Le lundi 3 octobre elle quitta l'abbaye de Cercamp et vint camper près de Doullens, en deçà de la rivière. Avant le décampement, M. le maréchal de la Meilleraye fit faire un ban par lequel il était défendu sur peine de la vie d'empêcher le labeur et le commerce des paysans, de forcer ni piller les forts, de ne maltraiter, ni offenser, ni violer les femmes et les filles.
L'armée quitta les environs de Doullens le mardi 4 octobre et vint camper à Domart le jour de notre franc-marché ; elle arriva à trois heures de l'après- midi ; il y avait deux régiments d'infanterie et deux cornettes de cavalerie de M. de Gassion, savoir : le régiment d'Épagny et le régiment de Langeron ; il n'y avait pas cinq cents hommes dans ces deux régiments.
Le quartier du Roi était campé à Flesselles, où se trouvait M. le maréchal de la Meilleraye. Il y avait aussi de la cavalerie à Halloy, à la ferme du Waignas, à Berteaucourt ; ils pillèrent l'abbaye de ce lieu. Vingt-quatre autres villages furent livrés au pillage: Saint-Léger, Domart, Fransu, Brucamp, Villers, Ailly, Bettencourt, Ville - Saint – Ouen,Saint-Ouen, Naours, Talmas, Halloy, Berteaucourt, Mouflers , Vauchelles , Long, Cocquerel, Alliel ,Famechon , Ergnies , etc.
Le 14 octobre, le quartier d'Ailly, qui se composait de huit cents hommes d'infanterie, décampa pour aller loger à Pernois, où il n'y avait pas de soldats à cause de M. d'Amiens.
La perte et le désastre que nous causaient les gens de guerre nous étaient si onéreux que nous souhaitions leur décampement et aspirions à la liberté ; nos maisons, nos granges et nos étables étaient abattues ; les blés et les avoines étaient à leur merci. Quand nous apprîmes qu'ils demandaient des guides le 14 octobre au soir, nous On dit que M. de Gassion, qui avait sous ses ordres dix-huit compagnies de chevau-légers, recevait du roi quatre cent mille livres pour sa garnison d'hiver ; on ajoute qu'il supplia Sa Majesté de lui donner pour garnison les villages situés près de la frontière, qui ne paient point de tailles, et qu'au lieu de quatre cent mille livres il se contenterait de trois cent mille livres.
Sur cette demande, le conseil trouva qu'il était très nécessaire de bien border la frontière.
Cinquante hommes de la compagnie du capitaine de la Vilette, des chevau-légers de M. de Gassion, étaient en garnison à Brucamp ; pour se mettre plus au large, vingt-six d'entre eux furent envoyés à Halloy, village appartenant à M. l'évêque d'Amiens ; ils y restèrent pendant dix-huit jours. Les habitants, ruinés par la garnison, allèrent se plaindre à l'évêque qui se rendit immédiatement en carrosse à Paris, et obtint du roi un blanc- seing pour faire déloger la garnison d'Halloy ; mais il fallait que ce blanc-seing fût rempli par M. de Chaulnes ', gouverneur de Picardie ; comme il se trouvait alors à Paris, M. de Bellejamme », intendant du roi en Picardie, remplit ce blanc-seing pour Domart, qu'il voyait dépourvu de garnison et qu'il considérait comme un lieu convenable pour y recevoir de la cavalerie ; il céda aux instantes prières de l'évêque, qui voulait à tout prix décharger son village de Halloy.
M. de Bellejamme ignorait que M. de Chaulnes nous avait promis de ne pas nous envoyer de garnison, parce que nous avions trop souffert du passage des armées. Aussitôt que nous fûmes avertis que les gassions allaient arriver à Domart pour y prendre garnison, nous transportâmes nos meubles dans le château, ce qui dura toute la nuit, car il faisait un très mauvais temps. Le 23 décembre, vers midi, notre guet aperçut les gassions sur le chemin de Pernois ; on sonna le tocsin et on porta le reste des meubles dans le château, où tous les habitants vinrent se loger avec leurs bestiaux.