Le XIXème siècle fut donc pour la région entre Amiens et Abbeville, un vaste chantier de constructions d'églises. Plusieurs styles d'architecture cependant sont utilisés successivement, correspondant à la vogue de l'époque, répondant aussi aux aspirations et aux besoins des populations rurales.
Les premières décennies du XIXème siècle voient s'édifier, entre Amiens et Abbeville, des églises sans style défini et à l'aspect massif. On peut citer en exemple les églises de Saint-Vast, construite en 1833, dans le canton de Villers-Bocage ; de Saint-Ouen, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, dont le chœur et le clocher datent de 1824, la nef de 1843 ; ainsi que les nefs des églises de Bourdon, dans le canton de Picquigny, édifiée en 1826 et de Citernes, dans le canton d'Hallencourt, édifiée, elle, en 1842. La taille imposante de la nef de ces différents édifices signifie la volonté d'abriter à l'intérieur des murs, le maximum d'habitants du village. Les populations des campagnes connaissent en effet, à cette époque, une forte croissance démographique.
Mais cette première moitié du XIXème siècle est fortement marquée par la vogue du style néo-classique. Celle-ci s'inscrit comme un prolongement aux réalisations de la fin du XVIIIème siècle. Dans l'ensemble du département, s'élèvent ainsi des édifices à l'ornementation sobre, inspirée des temples antiques (grecs et romains) ; le modèle en est l'église de Boves, construite suivant les plans de l'architecte Godde et achevée en 1818. Divers monuments sur l'espace qui nous occupe, ont été érigés dans ce style néo-classique ; et notamment, les églises de Saint-Aubin-Montenoye, datant de 1840 et de Metigny, datant de 1841 ou la nef de l'église de Bougainville, construite en 1829 et 1830, situées dans le canton de Molliens-Dreuil ; la façade de l'ancienne église de Vignacourt, datant de 1821 ou celle de l'église de. Breilly, datant de 1834, toutes deux situées dans le canton de Picquigny ; les églises de Sorel, dans le canton d'Hallencourt et de Buigny-l'Abbé, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, construites respectivement en 1838 et en 1845. Au total, une dizaine de monuments sont édifiés dans ce sobre style néo-classique, entre Amiens et Abbeville, et ce à partir de 1820. Le dernier en date en est l'église de Bavelincourt, dans le canton de Villers-Bocage, construite en 1853. On peut ainsi remarquer que le dépouillement et la simplicité de l'ornementation des années 1830-1840 laissent ici la place à une décoration plus compliquée, qui surcharge la façade.
Viennent ensuite les églises de Bettencourt-Saint-Ouen, dans le canton de Picquigny et de Saint-Léger-les-Domart, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, construites toutes deux, respectivement en 1848 et de 1860 à 1863, et ce suivant les plans de l'architecte Demoulin, de Doullens. Ces deux édifices se composent d'une vaste nef sans décoration, aux fenêtres en plein cintre et surtout d'une, façade tout à fait caractéristique. Ce style élégant n'a cependant pas fait école au XIXème siècle, les églises de ces deux communes (espacées de quelques kilomètres de distance) en étant les seules représentantes.
La seconde moitié du XIXème siècle est, elle, toute entière vouée au néo-gothique, une trentaine d'églises sont ainsi construites dans ce style, de 1850 à 1880 notamment.
Ce mouvement est issu du regain d'intérêt, à la réhabilitation du Moyen-âge qui s'effectue à l'époque, sous l'influence du romantisme. Celui-ci contribue ainsi à ranimer en France le goût pour l'architecture gothique du XIIIème siècle. Ce style apparaît aux bâtisseurs de cette seconde moitié du XIXème siècle, comme le plus expressif de la foi ancestrale des Français. On idéalise ce passé, cet "âge d'or de la foi" et ce, en ces temps troublés par le matérialisme ...
De plus, le style néo-gothique permet une réelle économie de moyens par rapport au style néo-classique, car "il n'était pas nécessaire d'employer pour la totalité de l'édifice des matériaux résistants et coûteux" (1). Le coût de la construction se réduit aussi grâce à J'emploi de la brique. Celle-ci est désormais moins chère que la pierre et ce, grâce à l'emploi d'un nouveau combustible, le charbon, acheminé par voie de chemin de fer. De plus, les architectes utilisent le système du "plan-type", qui uniformise les constructions. Ainsi, l'église idéale est bâtie en croix latine, comprenant trois nefs et un transept. Ceci amène cependant une certaine monotonie de l'aspect de ces monuments, accentuée par l'austérité de l'ornementation.
Ces églises sont en règle générale assez volumineuses (de 30 à 35 m de longueur sur 10 à 12 m de largeur), par rapport aux constructions issues des époques précédentes. Le style néo-gothique permet ainsi aux communes de se procurer sans trop de frais un édifice en rapport avec la population. De plus, elles sont toutes surmontées d'une flèche effilée, très haute, et bien visible des campagnes environnantes, des villages voisins notamment ; ce qui amène une certaine émulation entre les différentes communautés.
La grande majorité d'entre elles ne diffèrent en fait que par la qualité ou par la profusion de l'ornementation (fenêtres, statues et sculptures diverses). Certaines d'entre elles, comme l'église de Ferrières, bâtie en 1868 ou celle du village de Crouy-Saint-Pierre, élevée en 1887 et 1888, toutes deux situées dans le canton de Picquigny, sont complètement dénudées et dépourvues de la moindre décoration. Ceci réduit le coût de leur construction au minimum; 35.000 F. environ pour celle de Crouy-Saint-Pierre. D'autres, au contraire, sont remarquables par le luxe de leur décoration.
Ce sont en général les constructions financées par les dons de particuliers, par la noblesse locale notamment. On peut ainsi citer les églises de Raineville, édifiée en 1865, ou de Molliens-au-Bois, construite en 1872, dans le canton de Villers-Bocage ; l'église d'Havernas, édifiée elle, de 1872 à 1875 ou de Vauchelles-les-Domart, de 1882, dans le canton de Domart-en-Ponthieu.
Quelques églises de style néo-gothique ont aussi un aspect monumental, comme par exemple la grande église de Flesselles, édifiée en 1872, dans le canton de Villers-Bocage, mais aussi, et surtout, l'église de Vignacourt, située dans le canton de Picquigny, construite de 1872 à 1878. Celle-ci, avec ses trois nefs, a été édifiée en fait aux dimensions d'une petite cathédrale, avec ses 55 mètres de longueur pour 24 mètres de largeur et 50 mètres de hauteur. L'église de Long, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, construite de 1845 à 1851, ainsi que la grande nef de l'église de Molliens-Dreuil datant de 1856, qui sont les seuls monuments néo-gothiques en pierres, ont elles aussi un aspect monumental.
Ainsi, 29 des 53 églises édifiées au XIXème siècle, soit 54 %, le sont dans le style néo-gothique ; ce chiffre monte à 83 % pour la seconde moitié du XIXème siècle (29 sur 35 édifices répertoriés). Pourtant, dans les années 1820 à 1840, le style néo-classique apparaît toujours comme le seul style convenant aux églises. Cependant, le néo-gothique s'impose peu à peu, s'appuyant notamment sur un mouvement de redécouverte de la période médiévale, sous l'influence des laïcs (des sociétés savantes ou des architectes comme Viollet-le-Duc), puis bientôt du clergé. Des revues se chargent de diffuser des modèles, dans les milieux ecclésiastiques notamment, les Annales Archéologiques fondées par Didron en 1844 et surtout la Revue de l'Art Chrétien publiée à Paris à partir de 1857, .sous la direction du Chanoine Corblet. Celle-ci est destinée à offrir des exemples aux prêtres et aux architectes désireux de reconstruire leur église.
Le milieu du XIXème siècle voit ainsi l'avènement du style néo-gothique sur l'espace compris entre Amiens et Abbeville. L'église de Bavelincourt, construite en 1853, dans le canton de Villers-Bocage, est la dernière production de style néo-classique, tandis que l'église de Long, édifiée entre 1845 et 1851, est, elle, la première de style néo-gothique. On s'interroge cependant, dans un premier temps, sur le coût de ces églises en briques, vastes et d'un aspect nouveau. Ainsi, à Coisy, en 1854, dans le canton de Villers-Bocage, "l'église de style ogival du XIIIème siècle attire l'attention et excite dans Amiens une vive surprise quand on pense à la faiblesse des moyens employés" (2).
Le style néo-gothique s'impose alors peu à peu entre 1850 et 1860, grâce à l'utilisation de plans-types notamment, ou au rôle de diffuseurs, auprès de la population rurale, des architectes tels que Deleforterie (père et fils), près d'Amiens. Aussi, dès 1854, l'Evêque, Monseigneur de Salinis, écrit au Préfet à propos de la nouvelle église de Longpré-les-Amiens, près d'Amiens : "Je suis dans l'extrême conviction que le style ogival du XIIIème siècle qui est un produit du génie français, est à la fois plus religieux, plus monumental, mieux approprié à notre climat, et qu'il offre des conditions d'élégance et de solidité qu'on n'obtient qu'à beaucoup plus de frais dans les styles grecs, romains ou modernes ..." (3). Son coût relativement modique incite les Conseils municipaux et les élites locales à reconstruire la vieille église en pierres, mal entretenue et devenue trop étroite pour la population. La nouvelle église en briques, vaste et haute avec son clocher et sa flèche effilées, orne alors la place publique ; elle devient, le "symbole de la modernité" (4).
S'ensuit alors une véritable "fièvre de reconstruction" parmi les communautés villageoises, dans cette seconde moitié du XIXème siècle. Le clergé, ainsi que !es élites locales, en sont les principaux acteurs. L'émulation entre villages voisins a .très certainement joué un rôle important. Ainsi, peut-on se contenter de la vieille et basse église en pierres, alors que le village voisin vient d'élever une belle construction néo-gothique, dont la haute flèche domine fièrement la plaine ?
D'autre part, une église fut aussi construite entre 1867 et 1871 dans la commune de Pont-Rémy, canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, dans le style néo-roman, suivant les plans de l'architecte Massenot. Celle-ci se différence peu cependant des églises néo-gothiques.
L'église néo-byzantine de Cardonnette, dans le canton de Villers-Bocage est, elle aussi, un cas isolé. Édifiée en 1895 suivant les plans de l'architecte Riquier, elle possède une certaine originalité qui tient à son ornementation, à l'emploi de briques de différentes couleurs et surtout au dôme qui la surmonte, visible de très loin dans la plaine aux alentours. On a dit ainsi, à propos de cette réalisation, que "l'auteur du projet a su arriver à un très bon et très intéressant résultat" (5).
Les constructions issues de la fin du XIXème et du début du XXème siècle sont, quant à elles, fort modestes. Ainsi, les églises de Bussus-Bussuel, datant de 1899 ou de Brucamps, datant de 1904, situées dans le canton d'Ailly-le-HautClocher ou celle du village de Fresnoy-au-Val, datant de 1902, dans le canton de Molliens-Dreuil, ne sont que de petites constructions sans aucun style, construites à moindres frais. Ceci témoigne de la difficulté qu'ont les communes et les collectivités rurales à réunir les fonds nécessaires à financer de nouvelles constructions, en cette fin de période concordataire.
Le XIXème siècle voit donc se succéder différents styles d'architecture. La rapidité de cette évolution est particulièrement frappante. Cependant, on peut s'interroger sur la valeur artistique des monuments de cette époque, pendant laquelle on s'est contenté d'imiter les productions antérieures (style néo-classique, néo-gothique puis néo-roman et même néo-byzantin). Ceci n'a pas échappé aux contemporains. Certains ont même critiqué "la vanité et le mauvais goût ambiant" (6). On fustige surtout les grandes églises néo-gothiques "au luxe déplacé, parfois même grotesque" (7). Celles-ci ont cependant permis aux architectes de répondre aux besoins des campagnes et ce, compte tenu des faibles moyens dont on disposait. De plus, la multiplicité des styles témoigne de l'intérêt que l'on portait à l'époque pour l'art religieux, notamment parmi les architectes.
Sources
(1). C. Bouchon, C. Brisac, N.J., Chalines, J.M. Leniaud, Ces églises du XIXème siècle. op. cit. p. 130.
(2). Délibération du Conseil de Fabrique en date du 28 Décembre 1854. 99 0 1193 (4) Coisy. ADS.
(3). Lettre de l'Évêque au Préfet datée du 23 Octobre 1854. 99 O 222 (4), Amiens. ADS.
(4). C. Bouchon, C. Brisac, N.J. Chalines, J.M. Leniaud, Ces églises du XIXème siècle siècle. op. cit. p. 110.
(5). Conseil département des Bâtiments civils. 10 Janvier 1893. 99 O 1054 (4) Cardonnette. ADS.
(6). A propos des nouvelles églises du département de la Somme. L'architecture et les Picards au XIXème siècle. Amiens. Rousseau Leroy, imprimeur éditeur, 1888. 59 p., p. 5.
(7). Ibid p. 36.