Magister fut un jour invité par un curé du voisinage à chanter la messe le jour du patron et à prendre part au repas qui suivrait.
A la sortie de l'église, il se rendit au presbytère avec un certain nombre d'ecclésiastiques qui avaient répondu également à l'invitation de leur confrère.
Grâce à un tel convive, le dîner fut gai ; Magister, on le sait, n'engendrait point la mélancolie.
Les plats succédaient aux plats, et chacun y faisait honneur. Une énorme dinde fut apportée sur la table. D'un commun accord, tous les convives proposèrent de la faire découper par le maître d'école de Pernois ; ce dernier tenta de s'en excuser, faisant valoir son inhabilité ; mais, plus il s'en défendait, plus les autres mettaient d'insistance. Il s'arma donc de la fourchette et du couteau à découper ; il ne paraissait point être à son affaire. L'un des ecclésiastiques, croyant mettre le comble à son embarras, lui dit :
- Prenez bien garde, Magister. ce que vous ferez d'abord à cette volaille, nous vous le ferons ensuite…
- Que voulez-vous dire ?
- Si vous lui coupez une aile, nous vous couperons un bras ; si vous lui enlevez une cuisse, nous vous amputerons d'une jambe.
Cette perspective n'avait rien de réjouissant. Posant sur la table son couteau et sa fourchette, Magister se gratta l'oreille. Ce faisant, une inspiration lui vint. Allongeant le bras, il tira le plat vers lui en lui imprimant un mouvement de rotation, de façon à avoir la partie postérieure de la dinde tournée de son côté, puis il jeta malicieusement un regard autour de la table. Chacun des convives était dans l'attente de ce qu'il allait faire.
Saisissant de la main gauche le croupion de la volaille, Magister introduisit au-dessous l'index de la main droite, avec lequel il fit semblant de fouiller à l'intérieur de la dinde ; puis retirant le doigt, il le porta à sa bouche en le suçant avec gourmandise comme s'il se fût agi d'un bâton de sucre de pomme.
Retirant son doigt de sa bouche, Magister dit de sa grosse voix avec un air narquois :
- J'ai tenu mon engagement ; à votre tour maintenant, messieurs, de tenir le vôtre.