Les pêches

Pour un verger et quelques petites pièces de terre qu'il avait hérités de ses parents, Magister était tenu à des redevances féodales en nature envers le seigneur de Pernois, qui était l'évêque d'Amiens.
Dans le verger se trouvait un pêcher. La récolte fut si abondante une année après la cueillette Magister constata que la part due au seigneur était importante. Dès le lendemain, il prenait le chemin d'Amiens, portant sur le dos le panier de pêches qu'in devait remette à l'évêque.
La distance de Pernois à Amiens est de six lieues. De temps en temps, le gourmand Magister prenait une pêche et la mangeait. Lorsqu'il arriva au palais épiscopal, son panier était fort allégé. Il est certain que si la route eût été un peut plus longue, le panier aurait été vide à l'arrivée de son porteur. Toutefois, une pensée lui traversa l'esprit ; c'est que l'évêque se douterait bien qu'il ne lui apportait pas la quantité de pêches à laquelle il avait droit.

• Bah ! se dit Magister en guise de consolation, j'en serai quitte pour me faire passer pour plus pauvre que je ne luis réellement, et sa Grandeur n'y verra que du feu.
• Sur cette bonne résolution, Magister fut introduit auprès de M. de la Motte. Après qu'il l'eut respectueusement salué, il luit dit :
• Monseigneur je vous apport le produit de votre dîme sur mes pêches.
• C'est bien, Magister. Voyons, débarrassez-vous de votre fardeau.

Posant alors son panier sur la table, le maître d'école l'ouvrit avec fort peu d'empressement, et pour cause.

• Mais il n'y en a que deux ! s'écria M. de la Motte. Et vous vous dérangez pour si peu ? et vous prenez un panier, encore ?

Voyant Magister tout décontenancé, l'évêque, se doutant de ce qui s'était passé, dit aussitôt :

• Qu'avez-vous fait Magister ?

Celui-ci, prenant vivement l'une des deux pêches, la porta à sa bouche, l'avala et répliqua :

• J'ai fait comme cela, monseigneur. a votre tour !
• M. de la Motte rit de bon cœur et prit la pêche que Magister guignait avec convoitise.