A cause de sa belle et forte voix, Magister savait se faire pardonner son défaut capital par le curé de Pernois.
Ce chantre, il faut bien le dire, était un véritable pilier de cabaret ; plus d'une fois, le bon prêtre l'avait menacé de l'expulser du lutrin, où il lui arrivait d'être souvent un objet de scandale pour les fidèles lorsqu'il était pris de boisson.
- Magister, lui dit un jour le curé, si vous ne cessez de fréquenter les cabarets, je vous révoquerai de vos fonctions de chantre ; il y a assez longtemps, du reste, que je gémis de votre inconduite.
- Je vous promets, M. le Curé, répondit le buveur, qu'à partir de ce jour je ne mettrai plus les pieds dans aucun cabaret. Je vous en donne ma parole la plus sacrée.
Le dimanche suivant, quand Magister reparut à l'église, il était plus ivre que jamais. Le Curé lui en fit la remarque et lui adressa de violents reproches
- N'avez-vous pas honte de paraître en un tel état dans un lieu saint ? Vous m'avez cependant bien promis de ne plus mettre les pieds dans un cabaret. que faites-vous donc de votre parole d'honneur ? On a bien tort de se fier aux serments des ivrognes.
- Pardon, M. le Curé ; je vous assure que je n'ai scrupuleusement tenu l'engagement que j'avais pris vis-à-vis de vous. Je vous ai donné l'assurance que je n'irais plus au cabaret. je vous jure que je suis resté fidèle à ma parole : je n'ai pas mis un pied au café.
- Comment se fait-il alors que vous soyez soûl en ce moment ?
- Je vais vous le dire, M le Curé. Je me présente à la porte du cabaret, où je n'entre pas. Je reste dans la rue et je m'y fais servir à boire.
Le curé, se voyant roulé, répartit :
- Pour que vous n'ayez plus recours à cette ruse d'ivrogne, je vous défends, - vous m'entendez bien,
- je vous défends de boire de l'eau-de-vie. Sachez toutes les sévérités seront employées contre vous à la première violation de ma défense.
- Je me garderai bien de vous désobéir, M. le Curé. vous pouvez m'en croire, je ne boirai plus d'eau-de-vie. je vous le jure, foi d'honnête homme.
A peu de temps de là, Magister entrait dans l'église tout festonnant, accrochant tantôt les banc de gauches, tantôt les bancs de droite. Le voyant soûl comme plusieurs polonais, M. le Curé, animé d'une sainte colère, lui dit :
- Comment fieffé ivrogne, vous continuez de boire et de vous enivrer ? Encore une fois, qu'avez-vous fait de vos promesses, de vos serments ? Vous n'êtes vraiment pas un homme d'honneur.
Ne me condamnez pas si vite, M. le Curé. Je vous jure que j'ai religieusement tenu ma parole.
- C'est trop fort ! Votre vice d'ivrogne se double d'un autre défaut : vous êtes menteur…
- Permettez. Je suis ni menteur ni parjure. J'ai cessé de boire à la porte des cabarets, comme je vous l'ai promis…
- Vous buvez chez vous, alors ?
- Je ne bois ni chez moi ni ailleurs, M. le Curé, vous pouvez m'en croire. Je me fait apporter l'eau-de-vie dans uns assiette, et foi de Magister, je ne la bois pas, je la … hume.
Au récit de cette nouvelle ruse, le curé de Pernois partit d'un immense éclat de rire : il était ainsi désarmé. Aussi pour cette fois, il fit encore grâce. D'ailleurs, il n'a aurait jamais osé chasser définitivement son clerc laïc du lutrin, car toute la paroisse se serait révoltée ; il ne pouvait lui infliger que de légères punitions pour le corriger de son vice. Il lui imposait pour pénitence de se présenter au lutrin sans surplis pendant plusieurs dimanches lorsqu'il arrivait à l'église en état d'ébriété. La pénitence accomplie, Magister, pour regagner le temps perdu, buvait plus que jamais, et, le dimanche suivant, on le voyait entrer dans la sacristie en battant des entrechats et en zigzaguant, au grand scandale des âmes pieuses